20 Désanm
Férié à La Réunion depuis 40 ans
1983-2023

Un livret rédigé par l’historien Gilles GAUVIN.

Depuis sa première édition en 2018, le Gran 20 Désanm organisé par le Département de La Réunion sur le site du musée de Villèle a notamment pour finalité d’assurer une large diffusion, par toutes sortes de supports, aux connaissances liées à l’histoire de l’esclavage à La Réunion, celle de son abolition, celles des traces qu’elle a laissées et aussi celle de la célébration de la fin de cette période sombre de notre histoire.

Ce livret participe à cette vocation. Il est édité à l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 30 juin 1983 qui a fait de la date de l’annonce de l’abolition dans l’île de La Réunion, un jour férié.
Les analyses de l’historien Gilles Gauvin nous éclairent sur ces quatre décennies qui ont vu notre 20 Désanm s’installer progressivement et tranquillement dans le calendrier officiel, culturel et mémoriel de l’Île.

My Name is February
Exposition au Musée de Villèle 
18 décembre 2023 – 30 octobre 2024

Des identités enracinées dans l’esclavage

Du 18 décembre 2023 au 30 octobre 2024, le Musée historique de Villèle accueille l’exposition intitulée My Name is February conçue par le Musée Iziko Slave Lodge à Cape Town, Afrique du Sud.

La Réunion et l’Afrique du Sud inscrivent leur histoire dans celle de l’esclavage. C’est pour mettre en commun cette histoire que le Département de La Réunion a signé une convention de partenariat avec Iziko Museums of South Africa. Une démarche qui s’inscrit dans le projet du futur Musée Historique de l’Habitation et de l’Esclavage. La concrétisation de cette convention est un échange d’exposition entre le Musée de Villèle et le Slave Lodge Museum, deux institutions patrimoniales qui abordent une même thématique centrée sur l’histoire de l’esclavage.
Cette fin d’année 2023 offre donc aux visiteurs des expositions croisées. Alors que les Africains découvrent une exposition des Archives Départementales de La Réunion, depuis le 1er décembre « The Name of Freedom », à partir du 19 décembre à Villèle, les visiteurs réunionnais pourront voir « My Name is February ».

Les esclaves ont été emmenés au Cap par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales pour servir de main-d’œuvre forcée à la colonie en expansion du Cap. Le premier navire chargé d’esclaves a été acheminé en 1658. Entre 1658 et le début des années 1800, plus de 63 000 hommes, femmes et enfants ont été arrachés à leur foyer se trouvant à Madagascar, au Mozambique, à Zanzibar, en Inde ou encore dans les îles des Indes orientales telles que Sumatra, Java, les Célèbes, Ternate et Timor (Indonésie), et emmenés au Cap en tant qu’esclaves.
Dépossédés de leur maison, de leur famille, de leurs amis, de leur culture, de leur langue, de leur religion et de leur identité, ces esclaves sont devenus la propriété d’autrui. Ils n’avaient aucun droit sur leurs propres enfants ; leur production et leur reproduction étaient contrôlées ; ils ne pouvaient pas posséder de biens et n’avaient pas la liberté de choisir pour qui ils voulaient travailler ou le type de travail qu’ils voulaient faire.
Au départ, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales était le plus grand propriétaire d’esclaves au Cap. Au fur et à mesure que de plus en plus de citoyens libres (appelés « free burghers ») occupaient des terres au Cap, ils faisaient également travailler des esclaves et, au début des années 1700, le nombre de personnes asservies « appartenant » à des citoyens libres a augmenté.
Tandis que les « esclaves de la Compagnie » conservaient généralement leur nom, même si les fonctionnaires l’orthographiaient incorrectement, en y ajoutant la région dont ils étaient originaires (par exemple, Abasembie van Zanzibar, Nelanga van Mosambique, Mabiera from Madagascar, Toemat van Sambouwa, Domingo van Malabar, etc.), on donnait généralement de nouveaux noms aux esclaves « possédés » par les citoyens libres. Le changement de nom des esclaves était une façon de les déposséder de leur identité.
Dans certains cas, les citoyens libres donnaient aux esclaves des noms classiques, souvent inspirés d’un empereur ou d’une figure mythique tels que Alexandre, Hector, Titus, Hannibal. Les esclaves portaient également des noms de l’Ancien Testament, comme Adam, Moïse, Abraham et David. D’autres encore se voyaient attribuer des noms ridicules et insultants tels que Dikbeen et Patat.
De nombreux propriétaires d’esclaves attribuaient aux esclaves des noms calendaires basés sur le mois au cours duquel ils avaient été emmenés au Cap tels que February, April et September.

Cette exposition, réalisée à partir d’entretiens avec des personnes dont les noms de famille dérivent de noms du calendrier, ouvre une réflexion sur la manière dont le passé esclavagiste, souvent oublié et négligé, a façonné notre patrimoine, non seulement au Cap, mais aussi dans toute l’Afrique du Sud. En racontant cette histoire, nous souhaitons rendre hommage aux milliers de personnes déracinées de force dans diverses régions d’Afrique et d’Asie, qui ont été amenées au Cap et dont le travail a contribué à la construction des villes, des villages et des fermes d’Afrique du Sud.

L’exposition est également enrichie du travail des élèves de 6ème du Collège du 14e km du Tampon qui, en classe d’anglais et en arts plastiques, ont étudié le poème de Diana Ferrus, « My Name Is February » et ont réalisé une sculpture inspirée de celui-ci.

« Si vous choisissez de vous coucher, vous restez couché. Mais c’est à vous de choisir de vous relever – et voici les histoires de ceux qui se sont relevés. Ce sont des histoires d’espoir. »
                                                                                                                            L’archevêque émérite Desmond TUTU

Mélodie de l’eau,
Mes pieds nus sur les sentiers,
Marron je renais

Une création en résidence de Geneviève Alaguiry

La résidence de création à Villèle, qui a débuté le lundi 16 octobre 2023, est issue de la volonté de réaliser une œuvre sculpturale mettant en lumière la figure du marron. Elle sera présentée dans le cadre de la manifestation annuelle Gran 20 Désanm sur le site du Musée de Villèle.

L’artiste Geneviève Alaguiry, a été sollicitée afin de réaliser ce projet. Ses réalisations en papier mâché ont, en effet, capté l’attention par le passé, notamment au regard du rendu particulier qu’elle a su travailler au fil de ces dernières années.

Cette résidence de création avait en réalité un double-objectif : celui, d’une part, de créer une œuvre originale sur la figure du marron et, d’autre part de faire participer les jeunes de la promotion 31 de l’Académie des Dalons¹ au processus de création artistique afin de leur faire découvrir le métier d’artiste visuel et leur permettre d’appréhender l’art et la création en général.

Les jeunes de l’Académie des Dalons travaillant sur l’ossature de la sculpture

La sculpture faite en papier mâché évoque ainsi les maronèr è maronèz : figures emblématiques de la liberté à La Réunion. Cinq têtes d’hommes, de femme et d’enfants, émergent des falaises des montagnes de l’intérieur de l’Île, représentant quelques ethnies significatives, provenant de Madagascar, d’Afrique, d’Inde ou encore des Créoles nés sur l’Île et qui ont en partie formé la population réunionnaise d’aujourd’hui.

Geneviève Alaguiry a désiré souligner non la souffrance mais l’espoir et les rêves de ces maronèr è maronèz devenus réalité pour un certain nombre d’entre eux. C’est de cette façon que les visages sont représentés : paisibles, les yeux fermés, les personnages sont souriants, la tête levée vers cet idéal de vie libre, vers un avenir à construire. Leurs têtes émergent et trônent littéralement sur les deux chaînes de montagnes séparées par le cours d’eau, fil rouge de leur parcours, symbole de vie.

Mélodie de l’eau, Mes pieds nus sur les sentiers, Marron je renais. Sculpture de Geneviève Alaguiry. 2023

Ils ne font pas qu’émerger des montagnes, ils les forment. Eux, nos Cimandef, Marianne, Anchaing, Héva, Mafate… les premiers à découvrir l’intérieur de l’Île, les lieux les plus enfouis, les sommets les plus hauts. Eux, qui se sont appropriés ce que le territoire avait de plus abrupt. La rudesse n’était pas inconnue, mais l’artiste montre qu’ils l’ont apprivoisée. Les sentiers sont révélés par des feuilles d’or, couleur de lumière et de perfection. La lumière, par association à la vie, nous parle de personnes passées, de la mort sociale et de l’inexistence en tant qu’humains asservis ; à la Vie… une vie libre dans le marronnage. De l’asphyxie d’une condition subie, le marron atteint sa perfection au travers d’une liberté durement acquise : « (…) Marron je renais ».

Geneviève Alaguiry est une artiste plasticienne née en 1986 à l’île de La Réunion. Diplômée d’un DNSEP à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de La Réunion en 2010 et d’un Master 2 à l’Université Paris 8 en 2011, elle développe très tôt une recherche sur la condition humaine qui l’amène à questionner le contexte sociétal du XXIème siècle, ancré dans une marchandisation des individus et du monde.

Artiste pluridisciplinaire, Geneviève Alaguiry navigue entre le dessin, l’écriture, la performance, l’installation, la vidéo/l’animation, la sculpture et la photographie.
Elle a participé à plusieurs expositions collectives et réalisé des résidences à Paris, Maurice et La Réunion.


¹ L’Académie des Dalons est un dispositif expérimental d’insertion sociale et professionnelle initié par le Département de La Réunion. Il s’adresse à des volontaires motivés âgés de 18 à 25 ans.